22 décembre
© Lacroix, 2008
Bicyclette dans le silence feutré de la tempête de neige du solstice d’hiver, rue Larivière, près de la rue Parthenais
En japonais, on utilise l’adjectif shizuka aussi bien pour ce qui est calme et rangé, net, apaisant (un lieu, une personne, un tableau, une vie…) que pour signifier le silence physique. En d’autres termes, le contraire du silence n’est pas seulement le bruit en soi, mais le chaos quotidien, les activités stériles, les possessions inutiles, les obligations facultatives, les distractions excessives… S’adapter aux autres sans dépendre d’eux, rester libre de ses actes, se dégager des contingences matérielles, prendre plus de temps pour soi, se réserver des moments de solitude, vivre dans un environnement sobre et dépouillé, ne posséder que le strict minimum, voilà autant de moyens de remédier au chaos et de transcender le quotidien. On peut, grâce à de tels aménagements, retrouver vitalité, personnalité et créativité, même si cela est difficile à faire comprendre à son entourage. […] Comment parler du silence sans évoquer un des plus beaux compromis artistiques entre le non-dit et l’expression écrite le haïku, cette forme de petits poèmes en dix-sept syllabes et deux ou trois mots juxtaposés ? A l’opposé de la rhétorique, du discours, de l’éloquence, le haïku capte et invite chacun à saisir, comme par magie, la quintessence de la réalité, l’instant présent et à le multiplier à l’infini. Le silence est considéré au japon comme une forme d’art parmi les plus sacrées. Le zen nous apprend que plus nous ornementons notre discours de mots ou d’explications, plus nous nous éloignons de la réalité, du plaisir de l’instant, plus nous alourdissons ce que nous voudrions léger, plus nous en rendons la beauté inaccessible.
Au japon, être silencieux a toujours été un signe de distinction et d’élégance. L’idéal japonais est à l’opposé de notre culture de la communication (ou tout un chacun peut prendre la parole quand bon lui semble) et évite soigneusement de dépasser le seuil de la simple suggestion, attentif d’abord à laisser les portes des sens grandes ouvertes. Accumuler des mots vides de sens alourdit notre rapport à la légèreté et à la profondeur. Cela ne peut que nous empêcher d’exprimer exactement ce que nous ressentons ou cherchons à faire ressentir.
Garder une part de silence dans ses sentiments, révéler sans discourir, s’exprimer avec retenue et économie, c’est rester ouvert au caractère insondable des choses. C’est faire de l’esthétique une éthique. La beauté, par exemple, est si farouche, si rebelle aux mots qui cherchent à la domestiquer Les Occidentaux, eux, veulent toujours expliciter leurs paroles par d’autres paroles, arpenter la moindre parcelle de signification.
— John Lane, Les pouvoirs du silence; retrouver la beauté, la créativité et l’harmonie
Écoutez l’extrait audio (46 minutes) de l’émission Par 4 chemins, où Jacques Languirand cite et commente des extraits de ce livre.