
© Lacroix, 2007
Jeu de marelle (craie sur bitume), jardin de Lezarts (Quartier Centre-Sud)
«L’homme suit les voies de la Terre,
la Terre suit les voies du Ciel,
le ciel suit les voies de la Voie,
et la Voie suit ses propres voies.»
— Lao-Tseu, Le Tao Te King
L’origine de la marelle demeure mystérieuse. Dès 2357 avant J.-C., des textes chinois en font mention. Dessiné sur des sépultures en Égypte, en Grèce ou ailleurs dans le monde, ce jeu à tableaux offre toujours le même tracé rectangulaire ou en spirale.
On appelle marelle aussi bien le jeu que son tracé. La marelle est à l’origine une représentation du monde que l’on parcourt comme un chemin initiatique. La version la plus connue est celle dans laquelle on doit partir de Terre, éviter l’Enfer, aller au Ciel. Historiquement c’est le miroir de la manière que l’on a de se représenter l’univers. La marelle peut s’adapter à diffédents thèmes: le temps (saisons, jours ou des mois), l’espace (les ponts cardinaux) ou se transformer en jeu de questions: à chaque case, on doit donner un chiffre croissant de réponses sur les noms de plantes, d’animaux, etc.
Entre les ruines du Forum romain, on peut encore voir aujourd’hui une marelle datant du 5e siècle av. J.-C. Pour les romains, le jeu de la marelle était une représentation ludique du récit mythologique sur le labyrinthe de Dédale dont personne ne pouvait s’en échapper. Il était habité par un monstre, le Minotaure. Thésée décida de l’affronter. Ariane, donna au courageux jeune homme une épée, et une pelote de fil. Thésée accrocha le fil à l’entrée du labyrinthe, et partit à la recherche du Minotaure en déroulant la pelote au fur et à mesure qu’il avançait. Thésée réussit à tuer le Minotaure, et ensuite il n’eut qu’à suivre le fil déroulé pour retrouver la sortie du labyrinthe.
Comme beaucoup de jeux anciens, la marelle a d’abord été mystique, pour devenir ensuite un jeu d’adresse et d’équilibre.
«Le joueur progresse à cloche-pied en poussant un palet qui représente l’âme. S’il boite, c’est que son âme est faible et qu’il doit s’astreindre à des efforts purificatoires pour gagner son ciel. Après avoir évité l’enfer et remporté différents mérites, il atteint le paradis, récupère le palet (son âme) et le place sous son bras ou sur sa tête, faisant réintégrer l’âme au corps. Le jeu de marelle consiste à ne pas poser le pied sur les lignes qui divisent les cases. Cette règle correspond symboliquement au besoin de se mettre à l’abri de l’incertitude. Dans la marelle, tout est prévisible. Jeu initiatique, il révèle l’individu à lui-même en développant certaines de ses capacités. De la marelle inscrite au sol, on passe à celle que l’on dessine sur une surface plane. La marelle est l’ancêtre des jeux à tableaux (go, échecs, dames, etc.) appelés « marelles assises.» [extrait de «La marelle», Musée de la civilisation de Québec]
Notre culture humaine toute entière est déterminée par nos caractéristiques ludiques. D’après l’historien Johan Huizinga, toutes les facettes de notre société, c’est-à-dire guerre et paix, justice et art, langue et philosophie, peuvent être expliquées sub specie ludi à partir de l’élément ludique.
Dans Homo Ludens, il démontre que l’élément ludique constitue une spécificité essentielle à notre société. Le jeu est apprentissage, défoulement, détente. À ce niveau, nous sommes l’égal de l’animal. Jeune ou adulte, nous prenons, en toute conscience, plaisir au jeu, ce dont l’animal en est incapable. De cette manière, le jeu est une façon d’exercer notre liberté: on peut choisir d’y participer ou non.
Commentaires sur le jeu d’après «Homo ludens», de Johan Huizinga, paru en 1938 [document PDF, 23 pages]