
© Lacroix, 2007
Dans une ruelle du quartier Centre-Sud
Le texte, ci-dessous, de Sarah Ban Breathnach
est extrait de son livre Éloge de l’ordinaire publié par les Éditions du Roseau.
Je vois Dieu avec le même œil qu’Il me voit», notait Maître Eckhart, mystique allemand du XIIIe siècle. Cette affrmation nous semble simpliste à prime abord, mais elle révèle à qui s’y attarde un profond mystère. Chacune d’entre nous l’interprétera à sa façon. Ce qui vous apparaît évident peut très bien m’échapper. Habituellement, c’est le magma des demandes, des décisions et des dilemmes quotidiens qui nous empêche de voir clair ou de regarder où nous allons. Les lunettes, les verres de contact et même la chirurgie au laser ne sont alors d’aucune utilité. N’est-il pas déplorable que bon nombre de femmes vivent comme des aveugles, même si elles ont une vision parfaite ?
Selon une ancienne conception chinoise de l’univers, le yin et le yang – les énergies masculine et féminine, à la fois opposées et complémentaires – sous-tendent tous les aspects de notre vie : obscurité et lumière, chaleur et froid, peine et joie, carrière et foyer, intimité et solitude, Ciel et Terre.
Nos sens n’y échappent pas. La différence entre regarder et voir, par exemple, reflète les deux facettes de la vue : l’une est pratique, l’autre est passionnée ; l’une sert à la navigation, l’autre à la relation ; l’une juge, l’autre contemple. Parfois, cette dualité est si déroutante que nous finissons par souffrir de strabisme.
Heureusement, l’alchimie spirituelle de notre essensualité fusionne les aspects pratique et passionnel de notre vision. Le don de la vue est à ce point important que la première chose que Dieu demanda lors de la création du monde fut «Que la lumière soit ! », pour que nous puissions voir.
Dans un ouvrage exploratoire intitulé The Zen of Seeing : Seeing/Drawing as Meditation, l’artiste Frederick Franck nous invite à vivre chaque instant comme si nous voyions ce qui nous entoure pour la première fois. «Tout le monde croit savoir comment une pomme de laitue est faite. Essayez d’en dessiner une et vous vous rendrez compte que vous avez passé votre vie à voir des laitues sans vraiment en regarder une, sans avoir admiré leurs feuilles semi-translucides, leur forme, sans avoir noté ce qui distingue la laitue du chou frisé, par exemple. »
Franck se sert d’un crayon pour mieux voir. Mais en fait, il suffit d’ouvrir les yeux. La prochaine fois que vous préparerez une salade, prenez le temps de bien regarder votre laitue. Que voyezvous ? Si vous regardez attentivement, avec vénération et reconnaissance, vous y découvrirez des merveilles insoupçonnées.